Une nouvelle lecture historique, musicologique, interprétative et pédagogique des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach au piano.
Révision et doigtés par Pierre Tran.
Introduction
Les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach font certainement parties des œuvres les plus importantes du répertoire de la musique occidentale depuis le 18ème siècle. Lorsque nous limitons notre regard aux compositions écrites pour clavier, on nous dit même que seules les Variations Diabelli de Beethoven ont une portée équivalente, ce qui n’est pas faux.
Malheureusement à ce prestige quelque peu intimidant s’accompagne aussi la réputation sulfureuse d’une œuvre injouable, à moins d’être un musicien très confirmé, ce qui n’est pas faux également.
Pour ne pas arranger les choses, les partitions commercialisées ne nous aident pas à résoudre tous les problèmes que posent l’apprentissage et l’exécution d’un tel ouvrage car Bach a laissé une zone d’ombre de non-dits qui pourrait rendre sa perception juste particulièrement difficile, d’autant que, pour nous pianistes, il y a lieu de faire tout un travail de décryptage, les Variations Goldberg ayant été écrites pour un clavecin à deux claviers.
Notre souci premier est donc de rendre la partition des Variations Goldberg enfin accessible au plus grand nombre tout en sauvegardant le manuscrit dans un rapport authentique au sein du binôme que forment Jean-Sébastien Bach et le piano moderne. En ce sens, bien que nous louions Czerny pour avoir inauguré une première transcription de cette œuvre de Bach au piano, il n’est pas sûr que son esprit originel soit respecté, notamment par la présence de très nombreuses indications dynamiques et de tempi qui fausseraient une approche certes libre mais restant délibérément épurée, donc plus conforme à son essence.
Un travail comparable à Czerny a aussi été mené par Ferrucio Busoni en 1918. Mais cette tentative ne trouve plus preneur aujourd’hui car Busoni ne s’est pas appuyé sur le texte original, appelé Urtext, et son tempérament fougueux de compositeur l’a emporté sur ce qui aurait dû rester un travail d’exégèse rigoureux.
Nous reprenons toutefois à notre compte toute une tradition italienne datant du 19ème siècle jusqu’au milieu du 20ème siècle consistant à relire les partitions de Bach (Mugellini, Casella), mais en les épurant de toute inexactitude d’ordre historique tout en s’autorisant, comme en tant qu’interprète, une créativité personnelle, partant du fait qu’une subjectivité éclairée ne nuit pas à une relecture musicale, bien au contraire. Et dans le cas de Bach, celle-ci nous permet de nous rapprocher plus près de son cœur et de sentir davantage les intentions et idées cachées de sa musique.
Les outils que nous avons utilisés furent simples, mais l’application fut complexe, et l’effort demandé incalculable !
Nos recherches sont donc allées dans trois directions, d’abord séparées, puis synthétisées par une vision unificatrice, à savoir : le doigté, le phrasé et le toucher bien que ce dernier domaine soit plus induit qu’explicite.
Lorsque les lecteurs engagés dans notre aventure auront apprivoisé et se seront approprié notre travail, nous sommes sûrs qu’ils ressortiront de ce voyage méditatif, avec une ouverture, une approche transcendante de la musique, et par-là même du sens de la vie.
Mythe et réalité historique
Le nom ‘Goldberg’ associé à ces Variations est celui d’un jeune claveciniste répondant au nom de Johann Gottlieb Goldberg qui fut au service du comte Herman Karl von Keyserling (1697–1764), un diplomate russe établi à Dresde.
De ce nom Goldberg dont la résonance magique vibre dans l’imaginaire de nombreux musiciens, car définitivement accolé à une œuvre devenue fétiche grâce à l’enregistrement du pianiste canadien Glenn Gould datant de 1955 (voir plus loin), lequel a d’ailleurs lancé sa carrière, nous retiendrons surtout une réalité historique qui ne colle pas au mythe auquel le grand public semble encore s’identifier.
En effet, nous ne savons rien qui soit de première main au sujet de cette œuvre que Bach a composée entre 1739 et 1740 et qu’il a gravée en 1741. Il a fallu attendre 1802 pour que son premier biographe en la personne de Johann Nikolaus Forkel (1749–1818) nous raconte l’histoire selon laquelle ces variations ont été composées à l’attention de Keyserling pour occuper son esprit durant la nuit pour cause d’insomnies, variations jouées par le jeune prodige Goldberg, alors âgé de 14 ans, dans une pièce attenante à la chambre à coucher du comte.
Ce conte de fée a la vie dure mais ne correspond pas du tout à la vérité. Nous pensons que ces pièces étaient destinées au fils aîné Wilhem Friedemann à qui Bach, le père, a d’ailleurs dédié plusieurs volumes de musique tels que le ‘Petit livre de clavier pour Wilhelm Friedemann Bach’, les six sonates en trio pour orgue, et peut-être même le premier volume du Clavier bien tempéré composé en 1722, sans oublier les Inventions de Bach à deux et trois voix, ouvrage pédagogique qui a été composé à son intention lorsqu’il n’avait encore que 13 ans.
Pour conforter cette nouvelle vision de la réalité, peut-être n’est-il pas superflu de souligner que rien dans le titre que Bach a donné à ces variations n’évoque la référence à Goldberg, celui-ci étant ‘Clavierübung IV’, ce qui signifie littéralement ‘Exercices pour clavier IV’, titre auquel il ajouta le commentaire énigmatique suivant : ‘consistant en une aria suivie de quelques variations pour le clavecin à deux claviers pour la récréation de l’esprit des amateurs’. Enigme dont nous en reparlons plus loin dans le texte consacré à la structure de l’œuvre.
Ces variations depuis leur composition vont traverser plus de deux siècles qui ont suivi leur publication dans une sorte d’anonymat jusqu’aux années 1930. Alors que l’on ne sait rien de leur destinée courant 18ème et 19 siècles, elles n’ont seulement pris leur envol qu’en 1933, étant considérées jusqu’à cette date comme de simples exercices destinés indifféremment aux clavecinistes ou aux pianistes, personne n’ayant songé à les jouer en public, hormis Arrau et Landowska elle-même.
Nous devons cette prouesse à l’immense claveciniste Wanda Landowska qui était persuadée qu’on avait affaire-là à l’une des plus belles pièces de musique jamais composées. Elle donna donc une interprétation intégrale dans sa propriété à Saint-Leu-La-Forêt le 14 mai 1933, suivi d’un enregistrement en novembre de la même année, lequel sera considéré comme le premier vrai enregistrement des Goldberg bien que l’on soit obligé de dire que sa première trace sonore date de 1928, sous la forme de bandes perforées pour piano mécanique réalisées par Rudolf Serkin.
Deux figures marquantes du piano vont parachever cette deuxième naissance de l’œuvre, en la personne de Glenn Gould et celle de Rosalyn Tureck bien que la primauté de l’avoir immortalisée au piano pour la première fois, ceci en 1942, ne leur appartient pas, ce privilège étant assigné conjointement à Eunice Norton et à Claudio Arrau. On a souvent opposé ces deux figures emblématiques de l’art pianistique que sont Gould et Tureck, mais force est de constater qu’elles ont pour une fois fait œuvre commune en léguant au public deux facettes radicalement différentes mais toutes aussi belles de la même pièce de musique, nous faisant entrevoir, ceci pour la première fois, une dimension multiple insoupçonnée dans la conceptualisation de ces variations alors que nous pensions jusqu’à alors qu’elles n’étaient que des exercices destinés aux doigts, donc sans grand intérêt. L’enregistrement de Gould a été gravé en 1955, alors que ceux de Tureck dans sa jeunesse le furent en 1947 puis en 1957. Par la suite Gould, ce pygmalion des studios, s’est remis à l’ouvrage plusieurs fois, en 1954 à Radio Canada anglais, à Salzbourg en 1959, et surtout en 1981, peu avant sa mort. Cette dernière version est considérée par les puristes comme étant la meilleure de toutes. Beaucoup plus tard, Gould en personne s’est désolidarisé de sa propre version de 1955 dans laquelle il ne se reconnaît plus, nous a-t-il dit. Quant à Rosalyn, elle enregistrera les Goldberg sept fois au total, incluant une version au clavecin.
Il serait un peu vain de recenser toutes les versions enregistrées tant ces variations sont devenues une musique populaire servie à toutes les sauces, notamment transcrites, du trio à cordes à l’accordéon, en passant par l’orchestre, du synthétiseur électronique au cinéma, en passant par le jazz et les jeux vidéo. Parmi toutes ces transcriptions, nous trouvons que celle de Dimitry Sitkovetsky pour trio à cordes non dénuée d’intérêt. Cela dit, András Schiff qui est lui-même un artiste très respecté à juste titre pour son interprétation remarquable des Variations Goldberg rejette toutes les transcriptions, les trouvant aussi mauvaises les unes que les autres car, affirme-t-il, le respect de l’appellation d’origine est sans appel, à savoir que les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach sont un chef-d’œuvre pour clavier seul.
Quel instrument choisir ?
Si l’on peut assurer de prime abord et sans prendre de risques que les Variations Goldberg peuvent se jouer soit au clavecin, soit au piano, soit à l’orgue, il ne reste pas moins vrai que l’histoire nous a apporté à la question posée des réponses moins consensuelles pour ne pas dire contradictoires, ceci dans le cadre d’un questionnement plus large, à savoir : ‘faut-il jouer Bach sur un clavecin ou sur un piano ?’
Wanda Landowska a milité toute sa vie de musicienne expatriée aux Etats-Unis pour confiner Bach exclusivement au clavecin, au point d’avoir traumatisé toute une jeune génération de musiciens (Arrau par exemple) qui humblement voulait s’initier aux œuvres originales de Bach au piano, tandis qu’Arturo Benedetti Michelangeli s’est toujours refusé à aborder les œuvres du Cantor de Leipzig au piano, préférant les jouer à l’orgue, si l’on met de côté bizarrement le Concerto italien et la Chaconne en ré mineur de Bach-Busoni qui fut une pièce maîtresse de son répertoire, pièce qui n’est rien qu’une transcription dont l’esprit est assez éloigné de sa référence, c’est-à-dire de la partita n°2 pour violon seul que le maître a écrite entre 1717 et 1720. Enfin, on ne peut s’empêcher de penser que les mimiques de Gould, sa gestuelle, et surtout ses notes piquées qui ont pu fasciner autant qu’irriter par leur insistance, nous renvoient davantage à un piano qui est à son image, celle d’un hypocondriaque, qu’à celui d’un piano moderne ‘normal’, bien réglé.
Mais de quel clavecin parle-t-on ? Certainement pas du Pleyel moderne si particulier sur lequel jouait Landowska, conçu selon ses plans, mais plus probablement d’un de ceux que Bach a possédés qui est un instrument à double clavier de cinq octaves à partir du fa de 16 pieds et que Peter Williams a stipulé dans les termes ‘the intented harpsichord’. Ces clavecins très riches en possibilités quasi orchestrales permettaient des effets d’une extrême variété.
Si l’on suit une idée plus véridique et plus au goût du jour portée notamment par l’érudit András Schiff, à savoir que l’esprit de Bach, est plus important que le médium véhiculant sa musique, il n’y a donc aucune raison à interdire le piano comme support principal.
L’égalité dorénavant affichée entre le clavecin et le piano sauvegarde peut-être la paix des braves au sein de la société des musicologues, mais limite aussi l’exploration et les avancées musicales quant à une ouverture plus avancée, voire audacieuse, de ces variations.
La question que nous sommes posés à juste titre en tant que chercheur est la suivante : existe-t-il un secret dans l’agencement organique de chaque pièce qui n’a pas été encore entièrement découvert et que seul un travail spécifique sur un piano permet ? Si oui de quelles façons ?
A ces deux questions brûlantes, ce travail tente présentement d’y répondre par l’entremise de moyens simples mais puissants, à savoir un doigté innovant, un phrasé inspiré et révélateur, un toucher non percussif et cantabile.
Encore faut-il apporter un soin particulier quant au choix du piano sur lequel on aimerait jouer ces Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Un critique musical français s’est demandé pourquoi on les enregistre toujours sur un piano de concert Steinway plus ou moins standardisé où la mécanique est lourde et les marteaux trop incisifs, et non pas sur des pianos anciens tels qu’un Erard ou un Pleyel du début du 20ème siècle où la mécanique est plus légère, le feutre des marteaux plus souple. Question pertinente ! Dans le cas des recherches effectuées par nos soins, un piano de concert moderne C. Bechstein D 280 a été utilisé, mais cet instrument particulier porte au plus profond de lui-même beaucoup de vertus disparues des pianos des années 1930, son âge d’or, celles de la transparence et de la grande luminosité.
Symbolisme et architecture de l’œuvre
Si l’on se réfère aux nombreuses publications spécialisées autour des Variations Goldberg dont la première connue de l’ère moderne, sous la forme d’une simple préface, remonte à 1935 par le claveciniste et musicologue américain Ralph Kirkpatrick, il nous est difficile d’en dégager une ligne directrice forte, incontestable et incontestée. En effet, force est de constater que bien des points de vue de musicologue divergent, sinon entrent en conflit les uns les autres, comme ce fut le cas entre Frederick Neumann et Robert Marshall qui ont porté leurs échanges musclés sur la place publique. Quelques-uns d’entre-eux ont parfois le courage ou la lucidité de reconnaître ouvertement, ou en aparté, que certaines analyses vont trop loin par leur extrapolation, lesquelles peuvent dépasser la pensée du compositeur qui est toujours authentique car au service de la Musique.
Pour notre gouverne, nous ne retiendrons que ce qui nous paraît essentiel parce que justement l’essentiel n’est pas forcément là où on le croit.
Toute ouvrage architectural réussi, malgré l’évidence de son ingéniosité technique ou pratique, la géométrie idéale de ses proportions, reste vide de sens s’il n’éblouit pas l’âme de l’intérieur. La force émotionnelle sous-jacente à l’architecture de ces variations se trouve évoquée dans les termes allemands ‘gemüt’ et ‘liebhaber’ qui résument à eux seuls la tonalité de l’expression destinée à la récréation de l’âme des amateurs : tel fut le désir de Bach (cf. Mythe et Réalité historique). En un mot, cette musique n’a pas pour objectif de ‘divertir’ (pris dans son sens étymologique) un ‘public’ mais, bien au contraire, elle est destinée à nourrir ‘l’âme’ (dans l’acception pythagoricienne du terme) des ‘amateurs de musique’, là aussi il faut prendre le mot ‘amateur’ dans son étymologie : ‘celui qui aime’.
Cette musique est donc de nature profondément mystique et reflète par son organisation quasi mathématique l’ordre cosmique cher à Bach. Le professeur James Sparks, éminent mathématicien et organiste amoureux de la musique de Bach, nous a montré en quoi ces variations sont un lieu de rencontre inédit où l’esthétique la plus libre s’unit à la logique la plus implacable au sein d’un climat de joie et d’amour. Casella avait déjà dit quelque chose de similaire dans sa lecture-critique du Clavier bien Tempéré (livre 2) lorsqu’il nous dévoile le fait que Bach soit capable de transformer des jeux mathématiques arides, par une sorte de ‘catharsis’, en joyaux sonores d’une beauté esthétique inouïe.
Afin de mettre en place une compréhension structurelle de ces variations, car c’est primordial, nous soulignerons ici quelques points essentiels à ne pas oublier tout en s’entourant de quelques conseils pédagogiques forts utiles. Nous agissons plus en tant que musicien qu’à titre de musicologue, ce que nous ne sommes pas, parce que la musicologie ne fait pas toute la musique, loin de là :
Esquisse analytique
1) Un thème composé de huit notes à la basse que l’on peut chanter, identifier et retenir immédiatement sans difficulté. Nous le rencontrons dès la première note jouée à la main gauche de l’Aria, il constitue le fil d’Ariane de toutes les variations à un exception près (Variation 9), son ciment, la personne sur qui l’on pourra toujours compter malgré les aléas ou variations de la vie. Cette ligne mélodique, ‘courue’ aurait dit Haendel qui l’a lui-même appliquée dans sa suite n°9 en sol majeur, demande à être soulignée sans lourdeur partout où elle est visible. Il est curieux de constater que certains interprètes ont oublié cette règle élémentaire au point que des critiques de disques se sont sentis obligés de mettre en exergue cette carence perceptible à l’écoute de leurs enregistrements par ailleurs respectables.
2) L’organisation triangulaire de l’œuvre avec une propension pour le chiffre 3 dont le dessin schématique serait le suivant : la base d’un triangle équilatéral consignerait les 10 pièces de virtuosité, tandis que le côté gauche les 10 pièces de caractère, et finalement le côté droit les 10 canons. Bach a donc créé des cycles de trois variations successives, lesquelles présentent invariablement, et dans cet ordre, une pièce de caractère suivie par une pièce de virtuosité et se termine par un canon, et ainsi de suite selon le même agencement pour chaque pièce jusqu’à la fin (hormis la variation 30).
3) La division de l’œuvre en deux parties égales, la première partie se terminant par le canon à la quinte en sol mineur dont le caractère métaphysique d’une interrogation du sens de la vie est très poignant, et la deuxième introduite par une ouverture à la française très majestueuse, ainsi structurée, cela pose naturellement le problème de la respiration formulé ainsi lors d’un concert public : Faut-il faire une pause plus longue que la normale après la variation 15, comme à la fin d’un mouvement d’une sonate par exemple, ou faut-il tout jouer d’une seule traite ?
4) La force du nombre 2 qui est donc aussi un chiffre organisateur par le fait même que le thème de l’Aria soit divisé en deux sections de seize mesures chacune.
5) Le catalogue de genres musicaux variés qui donne les couleurs à l’œuvre, c’est-à-dire sa vie intrinsèque. Pour cela, sans faire injure à Bach, nous croyons utile de nous aider des titres qui ont été donnés par le claveciniste et chef d’orchestre suisse Jörg Ewald Dähler dont la liste a été ajoutée presque à chaque page explicative accompagnant chaque variation, ceci afin de nous aider à mieux cerner le caractère spécifique de chaque pièce.
6) La prise de contact par la pensée méditative et l’écoute intérieure en lien à la spécificité de variation. Selon nous, cela se fait une par une, partie par partie, phrase par phrase, parfois même mesure par mesure, l’architecture de l’ensemble s’imposant à nous d’elle-même par la grâce d’une organisation latente, biologique pour ne pas dire cosmique, échappant d’une manière définitive à toute spéculation d’ordre intellectuel.
7) L’assimilation approfondie de toutes les subtilités contenues dans chaque Variation par un jeu pianistique où le temps est suspendu afin que celui-ci devienne naturel et sans effort apparent.
8) Les différents types de toucher qui adviennent naturellement au cours des étapes du travail d’assimilation décrit plus haut. Ici on peut jouer du legatissimo au staccato, en passant bien entendu par le legato, mais celui-ci doit être transcendant. Il faut de toute évidence, et en toute occasion, un toucher non percussif, même en jeu forte, le fortissimo étant très rare chez Bach. Toutefois, contrairement à Czerny et à Busoni (cf. Introduction), nous avons évité toutes annotations relatives à la dynamique bien qu’un jeu contrasté piano et forte soit sans conteste nécessaire, à part quelques accents toujours posés par-ci par-là avec circonspection. Nous évoquerions une anecdote : Bach conseillait à ses élèves de pratiquer ses œuvres sur un clavicorde, ce précurseur du pianoforte, chaque fois que cela était possible, ce qui veut bien dire qu’il avait la prescience d’une approche pianistique et pas seulement d’une conscience aboutie du clavecin ou de l’orgue.
9) Le chant et la danse érigés comme les deux piliers de soutien de l’édifice. Et là aussi nous savons que Bach envisageait toute son œuvre ‘cantabile’. Quant à l’utilisation de la pédale pour amplifier le chant, comme pour les tempi, nous laissons à chacun son libre arbitre, sans vouloir entrer dans une discussion partisane entre les adeptes de son utilisation (Perahia) et tous ceux qui sont farouchement contre (Schiff).
En conclusion, nous pensons que notre association dialectique phrasé-doigté, unique et expérimentale, et que nous avons mise en place avec beaucoup de soin, d’autocritique, d’amour et d’intuitions musicales, est la clé de voûte de tout notre travail de révision-lecture des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Si celle-ci ‘parle’ aux lecteurs, notre but sera atteint, et nous partagerons alors avec eux la joie indicible que nous procurent tant d’émerveillements esthétiques et spirituels toujours hors de notre champ d’entendement intellectuel car la musique est du domaine du cœur.
Qu’ils sachent enfin que nos indications ne sont pas restrictives ; chacun peut et doit y mettre du sien, le meilleur de lui-même, pour que cette Musique s’accomplisse pleinement sous ses doigts.